Bilan social : toujours obligatoire ou pas pour les entreprises en 2023 ? Analyse juridique et pratique
On voit apparaître sur Internet des articles rappelant aux entreprises leur obligation de réaliser un bilan social avant la date du 15 avril. Risquent-elles une amende de 7500 euros si cela n’est pas fait ? Doivent-elles réellement réaliser un tel document ? Éclaircissement sur la réalité du cadre juridique propre au bilan social en 2023.
Bilan social : une substitution par la BDESE actée depuis le 1er janvier 2018
Il était prévu par l’article L. 2323-20 du Code du travail que le comité d’entreprise devait être consulté sur le bilan social dès lors que l’entreprise comptait plus de 300 salariés. L’article L. 2323-22 donnait une définition de ce bilan social : « Le bilan social récapitule les principales données chiffrées permettant d’apprécier la situation de l’entreprise dans le domaine social, d’enregistrer les réalisations effectuées et de mesurer les changements intervenus au cours de l’année écoulée et des deux années précédentes. Le bilan social comporte des informations sur l’emploi, les rémunérations et charges accessoires, les conditions de santé et de sécurité, les autres conditions de travail, la formation, les relations professionnelles, le nombre de salariés détachés et le nombre de travailleurs détachés accueillis ainsi que sur les conditions de vie des salariés et de leurs familles dans la mesure où ces conditions dépendent de l’entreprise ».
Sur le contenu précis du bilan social, l’article R. 2323-17 du Code du travail fournissait un tableau regroupant dans plusieurs rubriques et sous-rubriques toute une liste d’informations précises à fournir aux élus du personnel. Problème déjà à l’époque, la rédaction de cet article avant le 1er janvier 2018 faisait écho à un seuil d’au moins 300 salariés et non de plus de 300 salariés ! Passons…
L’article L. 2328-2 du Code du travail prévoyait que « Le fait, dans une entreprise d’au moins trois cents salariés ou dans un établissement distinct comportant au moins trois cents salariés, de ne pas établir et soumettre annuellement au comité d’entreprise ou d’établissement le bilan social d’entreprise ou d’établissement prévu à l’article L. 2323-20 est puni d’une amende de 7 500 € ».
Et la date du 15 avril ? Elle vient de l’ancien article L. 2323-72 du Code du travail : « Le comité d’entreprise ou d’établissement émet chaque année un avis sur le bilan social. A cet effet, les membres du comité d’entreprise ou d’établissement reçoivent communication du projet de bilan social quinze jours au moins avant la réunion au cours de laquelle le comité émettra son avis. Cette réunion se tient dans les quatre mois suivant la fin de la dernière des années visées par le bilan social. Dans les entreprises comportant un ou plusieurs établissements tenus de présenter un bilan social d’établissement, la réunion au cours de laquelle le comité central d’entreprise émet son avis a lieu dans les six mois suivant la fin de la dernière des années visées par le bilan social. Dans le cas prévu au deuxième alinéa de l’article L. 2323-68, les bilans sociaux particuliers et les avis émis sur ces bilans par les comités d’établissement sont communiqués aux membres du comité central d’entreprise dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Les délégués syndicaux reçoivent communication du projet de bilan social dans les mêmes conditions que les membres des comités d’entreprise ou d’établissement. Le bilan social, éventuellement modifié pour tenir compte de l’avis du comité compétent, est mis à la disposition de tout salarié qui en fait la demande ».
Où en est-on sur le cadre juridique du bilan social en 2023 ? Tous les articles cités ci-dessus ont été abrogés par décret ou ordonnance avec une disparition au 31 décembre 2017. L’article L. 2323-72, sur la fameuse date limite du 15 avril, n’est quant à lui plus en vigueur depuis le 1er janvier 2016 !
Désormais, depuis le 1er janvier 2018, le Code du travail traite de la notion de bilan social dans les articles L. 2312-28 à L. 2312-35 du Code du travail.
Que nous dit l’article L. 2312-28 du Code du travail : « Dans les entreprises et organismes mentionnés au premier alinéa de l’article L. 2311-1 ainsi que dans les entreprises mentionnées à l’article L. 2312-35, la consultation sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi prévue au 3° de l’article L. 2312-17 porte, en outre, sur le bilan social de l’entreprise lorsque l’entreprise compte au moins trois cents salariés. A cette fin, l’employeur met à la disposition du comité social et économique, dans les conditions prévues par l’accord mentionné à l’article L. 2312-21 ou à défaut d’accord au sous-paragraphe 4, les données relatives à ce bilan social. Dans les entreprises comportant des établissements distincts, le comité social et économique d’établissement est consulté sur le bilan social particulier à chaque établissement dont l’effectif est au moins de trois cents salariés ».
Les données figurant dans ce bilan social sont donc désormais à communiquer aux membres du CSE par intégration dans la base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE).
Quelles sont ces données à compléter ou mettre à jour dans la BDESE ? L’article L. 2312-30 du Code du travail nous redonne une définition du bilan social strictement identique à celle présente auparavant dans l’article L. 2323-22 vu précédemment. L’article L. 2312-35 du Code du travail mentionne que « Un décret en Conseil d’Etat précise le contenu des informations prévues au présent paragraphe. Des décrets en Conseil d’Etat déterminent les mesures d’adaptation nécessaires à l’application des dispositions des articles L. 2312-28 à L. 2312-33 dans les entreprises tenues de constituer un comité social et économique ou des organismes de représentation du personnel qui en tiennent lieu en vertu soit de dispositions légales autres que celles du code du travail, soit de stipulations conventionnelles. Ces décrets sont pris après avis des organisations syndicales représentatives dans les entreprises intéressées. Le nombre et la teneur de ces informations sont adaptés à la taille de l’entreprise et de l’établissement par arrêté du ou des ministres compétents. Certaines branches d’activité peuvent être dotées, dans les mêmes formes, de bilans sociaux spécifiques ».
Alors ce décret ? Et bien il n’existe pas à ce jour.
Avis d’expert : Que conclure de cette analyse dans le temps des dispositions légales et réglementaires propres au bilan social ? Ce bilan social est désormais fondu dans la BDESE. Il n’existe plus légalement de délai particulier pour l’établir. Peut-on être sanctionné si on ne le fait pas ? La question en réalité ne se pose pas. La bonne question est : comment faire un bilan social sans connaître le contenu obligatoire ? A notre sens, il n’existe donc plus d’obligation juridique depuis 2018 à réaliser un tel document faute de publication d’un décret d’application.
Bilan social : des informations à transmettre sur demande ?
Voilà ce que disait l’article L. 2323-24 du Code du travail : « Les informations du bilan social sont mises à la disposition de tout salarié qui en fait la demande. Elles sont mises à la disposition de l’inspecteur du travail avec l’avis du comité d’entreprise dans un délai de quinze jours à compter de la réunion du comité d’entreprise ». Puis l’article L. 2323-25 du Code du travail : « Dans les sociétés par actions, le dernier bilan social accompagné de l’avis du comité d’entreprise est adressé aux actionnaires ou mis à leur disposition dans les mêmes conditions que les documents prévus aux articles L. 225-108 et L. 225-115 du code de commerce ».
Ces articles, abrogés depuis le 1er janvier 2018, ont été toutefois repris respectivement par les articles L. 2312-31 et L. 2312-32 du Code du travail.
Comment concilier ces articles avec l’idée que la BDESE se substitue désormais au bilan social et que le contenu précis du bilan social n’est toujours pas défini à l’heure actuelle ?
Avis d’expert :
La construction de la BDESE s’est faite de façon très approximative par le ministère du Travail. On ne compte pas les incohérences de cet outil et de son contenu tel que prévu par le Code du travail. Le lien entre BDESE et bilan social est un autre parfait exemple de non-sens juridique. Si on considère que le bilan social est intégré dans la BDESE, qui comprend en effet en application de l’article R. 2312-9 du Code du travail les données à fournir auparavant au titre du bilan social, pourquoi le législateur n’a pas tout simplement retiré du Code du travail toute référence à ce bilan social ? S’il souhaitait conserver un document comprenant des données sociales consultables par les salariés non membres du CSE et communicables aux actionnaires, pourquoi ne pas tout simplement prévoir l’obligation pour les employeurs de fournir un document compilant les données de certaines rubriques de la BDESE précisément identifiées ? Cette deuxième voie ne présente à notre sens qu’une seule difficulté : le cas des entreprises ayant négocié un contenu dérogatoire pour leur BDESE. Pour elles, le Code du travail aurait eu à imposer d’intégrer dans le bilan social les données telles que prévues dans l’article R. 2312-9 et non telles que présentes dans leur BDESE adaptée.
Ce travail de cohérence non accompli, on retrouve aujourd’hui un grand nombre d’entreprises perdues vis-à-vis de leurs obligations face au bilan social et à la BDESE. Avec par exemple certaines entreprises produisant un bilan social très complet fondé sur les textes juridiques en vigueur avant 2018 mais dont la BDESE est désespérément vide ! D’autres entreprises rédigent un bilan social complet avec une présentation particulière des données et complètent aussi leur BDESE en suivant le contenu légal obligatoire : elles réalisent souvent alors un double travail de présentation pour des données identiques ! Il serait donc bon que le législateur vienne résoudre cette situation dans les meilleurs délais.
Il peut être difficile actuellement de refuser à un salarié l’accès à certaines informations sociales ou de ne pas communiquer un certain nombre de données aux actionnaires, même si rien juridiquement ne semble y contraindre l’employeur. La solution idéale à adopter serait sûrement d’extraire les données souhaitées directement de la BDESE et de les ajouter les unes derrière les autres dans un document fourni aux actionnaires et mis à disposition des salariés sur leur demande.
Pour vous aider à y voir plus clair, la solution BDESE online propose pour ses abonnés un tableau récapitulatif des informations à insérer dans la BDESE à chaque consultation récurrente obligatoire (en l’absence d’accord) en indiquant celles qui peuvent servir à établir le bilan social.