Discrimination syndicale : les salariés peuvent demander la communication des bulletins de paie d’autres salariés pour l’établir
La Cour de cassation vient de nouveau d’admettre que des salariés qui se plaignent d’une inégalité salariale ou d’une discrimination puissent obtenir communication des bulletins de paie d’autres salariés. Il s’agissait cette fois de plusieurs salariés ayant des mandats d’élus ou syndicaux qui estimaient que leur salaire n’avait pas évolué et qu’ils avaient été discriminés.
Droit à la preuve contre protection des données
En mars dernier, la Cour de cassation avait admis qu’une salariée se plaignant d’une rupture d’égalité de traitement fondée sur le sexe pouvait obtenir communication de bulletins de salaire d’autres salariés masculins occupant des postes de niveau comparable dès lors que cette communication d’éléments, portant atteinte à la vie personnelle d’autres salariés, était indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi.
Elle vient de suivre à nouveau ce raisonnement à propos de salariés s’estimant victimes de discrimination syndicale.
Ces salariés avaient utilisé l’article 145 du Code de procédure civile qui permet d’agir en référé pour conserver ou établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige. Ils demandaient l’accès à des informations précises sur leurs collègues notamment des bulletins de salaires.
Deux droits différents s’affrontaient :
- le respect de la vie personnelle ;
- et le droit à la preuve.
La Cour de cassation rappelle que le droit à la protection des données à caractère personnel n’est pas un droit absolu et doit être mis en balance avec d’autres droits fondamentaux, conformément au principe de proportionnalité.
Or le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que :
- cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit ;
- et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi.
Les juges saisis d’une demande de communication de pièces en référé doivent :
- d’abord rechercher si la communication est nécessaire à l’exercice du droit à la preuve de l’inégalité de traitement alléguée et proportionnée au but poursuivi et s’il existe ainsi un motif légitime ;
- ensuite, si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte à la vie personnelle d’autres salariés, il faut vérifier quelles mesures sont indispensables à l’exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitées.
Application à l’affaire
L’affaire concernait 31 salariés ayant tous des mandats d’élus ou des mandats syndicaux, qui soupçonnent une discrimination liée à leur activité syndicale. Ces salariés ont en effet connu une évolution de carrière très lente, leur coefficient et leur salaire n’ayant pratiquement pas progressé.
Ces salariés ont essayé d’obtenir des éléments de comparaison auprès de leur employeur mais en vain malgré une intervention du syndicat et de l’inspection du travail.
Or la cour d’appel a estimé que pour que les salariés puissent faire valoir leurs droits il fallait qu’on leur communique des informations précises sur leurs collègues telles que leur âge, leur classification (en précisant les dates de changement de qualification/classification), leur ancienneté, leur diplôme à l’embauche et les bulletins de décembre de chaque année depuis leur embauche ainsi que le dernier bulletin de paie.
Toutes ces informations devant figurer dans un tableau récapitulatif pour effectuer une comparaison sur des postes semblables ou comparables réclamant la même qualification.
Malgré la contestation de l’employeur, la Cour de cassation estime que la cour d’appel a pu valablement retenir que cette communication était indispensable et proportionnée au but poursuivi qui est la protection du droit à la preuve de salariés éventuellement victimes de discrimination. Seul l’employeur détenait les éléments demandés et nécessaires pour un procès à venir.
Les atteintes à la vie personnelle étaient donc ici proportionnées au but poursuivi.
Cour de cassation, chambre sociale, 1er juin 2023, n° 22-13.238 (la demande des salariés s’estimant victime de discrimination syndicale d’accéder à des éléments de comparaison reposait sur un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige)
Anne-Lise Castell