Quand l’IA s’invite en entreprise, le CSE doit-il être convié ?
Le tribunal judiciaire de Nanterre a ordonné à une entreprise de cesser l’utilisation de nouveaux outils d’intelligence artificielle (IA) jusqu’à ce que son comité social et économique (CSE) rende son avis. Cette décision marque sans doute un tournant dans le dialogue social autour de ce sujet en entreprise.
L’IA au travail : une évolution qui questionne sur le rôle des élus
L’intégration rapide de l’intelligence artificielle dans le monde du travail soulève des questions juridiques complexes, notamment en ce qui concerne les droits des salariés et vos obligations consultatives en tant qu’employeur.
Or, le CSE peut jouer un rôle crucial dans l’accompagnement de ces changements.
Rappelons que vous devez informer et consulter le CSE sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise, et notamment sur l’introduction de nouvelles technologies (Code du travail, art. L. 2312-8).
Le CSE peut, dans ce cadre, recourir à un expert habilité pour l’assister (Code du travail, art L. 2315-94).
La jurisprudence indique clairement que toute mesure ayant un impact notable sur l’organisation, la gestion ou le fonctionnement de l’entreprise requiert la consultation préalable du CSE.
Pour être effective, cette consultation doit avoir lieu avant la concrétisation du projet.
L’introduction d’outils utilisant l’IA en entreprise s’entend-elle de l’introduction d’une nouvelle technologie pour laquelle vous devez consulter le CSE ?
Il a pu être admis que l’introduction d’un programme informatique traitant les abondants courriels n’avait que des conséquences mineures dans les conditions de travail directes des salariés dont les tâches vont se trouver facilitées ne nécessitait pas une consultation du CSE (Cass. soc., 12 avr. 2018, n° 16-27.866).
Toutefois, qu’en est-il aujourd’hui avec le développement de l’IA, générative notamment, et son impact sur les métiers et les conditions de travail des salariés ?
Consultation du CSE : décision inédite sur le déploiement de l’intelligence artificielle en entreprise
Consulter le CSE dans le cadre de l’introduction d’outils d’intelligence artificielle semble désormais indispensable.
A l’heure actuelle, les projets de déploiement de l’IA en entreprise ont vocation à automatiser certaines tâches et à transformer durablement certaines activités. Il s’agit donc bien d’un cas d’introduction de nouvelles technologies, pour lesquelles la consultation du CSE est obligatoire.
C’est d’ailleurs ce qu’a retenu le tribunal judiciaire de Nanterre dans une décision très remarquée du 14 février 2025.
Les juges ont ordonné la suspension du déploiement de nouvelles applications informatiques mettant en œuvre des procédés d’intelligence artificielle jusqu’à l’achèvement de la consultation du CSE.
En l’espèce, une entreprise soutenait que la consultation du CSE n’était que facultative, les applications litigieuses étant seulement en cours d’expérimentation.
Le CSE considère qu’elles ont été mises en fonctionnement sans attendre son avis, constituant un trouble manifestement illicite et une entrave à ses prérogatives.
Le juge du tribunal judiciaire de Nanterre a considéré que la phase pilote impliquait l’utilisation des nouveaux outils, au moins partiellement par l’ensemble des salariés concernés, retenant en ces termes : « Leur déploiement anticipé, sans consultation du CSE, constituait (…) un trouble manifestement illicite ».
Il ne s’agit là que d’une ordonnance rendue en première instance, qui a donc un poids relativement faible. Cette décision n’en reste pas moins un signal fort pour les entreprises. Elle marque un tournant majeur dans l’intégration de l’intelligence artificielle en entreprise, en posant l’obligation de consulter le CSE avant tout déploiement, même expérimental ou partiel, d’outils basés sur l’IA.
En attendant une décision de la Cour de cassation sur la question, nous ne pouvons que vous conseiller d’informer et de consulter le CSE sur tout projet d’intégration d’outils d’IA dans l’entreprise, selon la même procédure que l’information-consultation pour l’intégration d’une nouvelle technologie :
- d’une part afin d’éviter un blocage en cas d’action judiciaire de vos représentants du personnel ;
- d’autre part, afin de prévenir les risques sur la santé et la sécurité de vos salariés pour lesquels l’IA risque de modifier leurs conditions de travail.
Bon à savoir : le règlement européen sur l’intelligence artificielle, connu sous le nom d’AI Act, entré en vigueur le 1er août 2024, encadre le développement et l’utilisation des systèmes d’IA. Progressivement mis en œuvre jusqu’en 2026, il prévoit notamment, en son article 5, l’interdiction d’utiliser l’IA pour déduire des émotions sur le lieu de travail.
Tribunal judiciaire de Nanterre, Ordonnance de référé, 14 février 2025, RG n° 24/01457 (une entreprise qui déploie des outils utilisant l’intelligence artificielle doit, avant tout déploiement même expérimental, respecter la procédure d’information-consultation du CSE)